Comme j’habite Alger centre, je me suis dit que pour des raisons pratiques et pour d’autres raisons que je ne te dirais pas, je vais ouvrir un compte dans le coin. Je ne connaissais aucune banque nationale, et comme je venais de débarquer fraichement de Paris, j’ai pensé qu’une banque comme la BNP ferait l’affaire. D’une, parce que BNP sonnait familier pour moi, et de deux, je fais ce que je veux.
Un rapide coup d’œil sur internet, histoire de voir s’il n’y avait pas une agence du même nom pas trop loin de chez moi. Cool, il y a une agence vers la Place Audin. Pendant que j’y étais, j’avais pris le soin de noter toute la paperasse nécessaire pour l’ouverture d’un compte, histoire de gagner du temps et donc de l’argent, puisque, parait-il, le temps c’est de l’argent.
Et vas-y ! Certificat de ci, certificat de ça, photocopie légalisée de ci, photocopie légalisée de ça et photocopie légalisée de chose dont je ne soupçonnais même pas l’existence, fiche d’état civil, etc…
Sérieux. C’est quoi cette connerie de photocopie légalisée ? Je n’avais jamais entendu un truc pareil et le hic, c’est que ça te prend un temps fou à la faire. Et tu as vu la gueule des mecs qui légalisent ? C’est qu’ils se mettent à deux pour le faire. Un qui tamponne et un autre qui signe. Celui qui tamponne vérifie les photocopies et les originaux tout en scannant ta gueule histoire de voir si tu es un fils de bonne famille. Celui qui signe doit vérifier si le gars qui tamponne a bien vérifié. Ce jour-là, le gars qui devait signer mes photocopies a mis un peu plus de temps car il était en panne de feuille (ou massa pour les initiés) pour se jeter une bonne dose de chema (ou chique pour les francophones) qu’il tenait dans le creux de sa main.
Et le voilà parti, avec une certaine fierté et assurance, à la recherche de la massa perdue. La chema dans une main et mes papiers dans l’autre. Rajoute à ça, une foule de gens que je me refuse de te décrire tellement qu’ils étaient nombreux et qu’ils dégageaient un odeur de panda mouillé (oui Madame, un panda mouillé, ça pue grave), et une chaleur qui frôlait les 250 degrés sel-suce.
En gros, il régnait une bonne et belle ambiance dans cette petite annexe de la mairie ou je ne sais quoi. J’ai versé une larme de bonheur quand ce préposé à la signature et vérification en tout genre me tendit ma liasse de papelards. Je lui ai affiché un petit sourire courtois en guise de merci. Il n’a pas pu en faire autant vu qu’il avait l’équivalent d’un bon gros chamallow sous sa lèvre supérieure.
Quand je suis sorti de ce trou, j’ai levé la tête vers le ciel et respiré un grand coup. Tu me crois ou tu ne me crois pas, cela m’a rappelé la fin du film Midnight Express quand le gars s’était évadé d’une prison turque.
Où en étais-je avec mon histoire d’ouverture de compte ? Ah oui, voilà. Donc, j’avais bien constitué mon dossier pour la banque et me voilà parti en direction de cette agence BNP sise Place Audin.
Il était 14 heures du matin quand j’avais franchi le seuil de ladite agence. Une fois arrivé au guichet, j’informe la dame de l’objet de ma venue. Elle me tend, sans réfléchir et avec une nonchalance évidente, un papier sur lequel on pouvait lire un numéro de téléphone fixe et une liste de papiers à fournir pour ouvrir un compte en Dinar.
Je parcours rapidement cette liste dont je connaissais le contenu vu que je me suis renseigné avant, et lui lance « J’ai tout ce qu’il faut avec moi, pouvez-vous procéder à l’ouverture du compte maintenant ? »
« Ah non, il faut d’abord appeler et prendre un RDV » me crache-t-elle.
« Je peux prendre RDV maintenant, vu que je suis ici » insistais-je
« Ah non, je vous ai dit qu’il faut appeler et prendre RDV » me recrache-t-elle, mais cette fois avec une tronche qui affichait clairement un « wakila enta samat » (et tant pis pour ceux qui ne comprennent pas cette langue). D’autant plus qu’il commençait à y avoir une belle file derrière moi.
Je me résigne et m’écarte légèrement vers la gauche du guichet, laissant ainsi passer la personne qui respirait très fort derrière mon dos. Je prends mon téléphone et compose le numéro écrit en gros et en gras en haut de la feuille.
Ça sonne. Et en attendant que quelqu’un daigne décrocher à l’autre bout du fil, je regarde machinalement ce qu’il se passe dans cette agence et notamment cette dame quelconque qui m’avait remis le papier que je tiens à la main.
La dame décroche son téléphone et dit « Allow » en regardant l’écran de son PC.
De l’autre bout de mon fil, ça a décroché. « Bonjour » dis-je parce que je suis poli. « C’est pour prendre un RDV. Je souhaiterais ouvrir un compte en banque » enchainais-je.
« Vous habitez oùw ? » questionnait cette voix qui me semblait bien féminine.
« Alger centre, Sacré cœur plus précisément » jugeais-je bon de préciser.
« Sacré cœur ?! Il faut venir à l’agence de la Place Audin, alors » me dit-elle.
« Je peux venir maintenant ? » dis-je, alors que j’y suis déjà et à l’intérieur de surcroit.
« Bienne sûr. On est ouverte jusqu’à trois heures et demi » me répondit-elle.
« A très tout-de-suite » conclus-je avant de raccrocher.
La dame du guichet en fit autant et au même moment.
Je la regarde.
Elle me regarde.
Je la regarde.
Elle me regarde.
Je la regarde.
Elle regarde mon téléphone que je tenais encore dans ma main.
Elle me regarde.
Je la regarde.
Elle regarde la feuille qu’elle m’avait remis que je tenais encore à la main.
Elle me regarde.
Je la regarde.
Je lui souris.
Elle fronce ses sourcils bien velus.
« C’est vous qui vient d’appeler ? » me lance-t-elle.
« Oui » lui dis-je.
« Ah mais non. Fallait pas appeler de l’agence. Il faut appeler de dehors ». (

Je la regarde.
Elle me regarde.
Je suis sorti et juré de ne plus remettre les pieds dans cette agence.
Bref, j’ai failli ouvrir un compte à la BNP.
Ahmed Mimoun